Est-on obligé d’aimer sa mère ?

TOUTES LES ACTUALITÉS SANTÉ ET BIEN-ÊTRE

Est-on obligé d’aimer sa mère ?

Nous avons beau lui en vouloir, la détester parfois, jamais nous ne nous autorisons à dire : « Je ne l’aime pas. » Notre mère reste une icône intouchable, sacrée. Décryptage du plus ambivalent des sentiments.
Est-on obligé d’aimer sa mère ?

Une obligation sociale

« Je n’aime pas ma mère. » Très peu d’entre nous peuvent le dire. Les mots sont trop violents, le tabou encore trop fort. « Nous entretenons elle et moi un rapport de politesse, une apparence de relation normale.
« Une mère, ça reste socialement sacré. Entre l’éclatement des cellules familiales, les identités sexuelles et parentales qui se brouillent, nous vivons une période charnière. En pleine perte de repères, on se crispe sur du connu, des choses solides qui ont fait leurs preuves : l’image de la mère traditionnelle est devenue plus intouchable que jamais. » L’idée même est insoutenable : « Se dire que l’on a une mauvaise mère, ça peut détruire. Vous imaginez, elle vous a donné la vie, elle aurait donc le pouvoir de vous donner la mort… C’est le mythe de Médée, l’infanticide. »
 au passage que, dans la plupart des contes de fées, la méchante, c’est toujours la belle-mère : « On a opéré un déplacement nécessaire à l’expression du ressenti. Cela montre combien il est difficile de manifester des sentiments négatifs à l’encontre de sa mère, mais également à quel point ils existent. On reste dans l’ambivalence permanente. »

Une relation fusionnelle

« Quand l’enfant est tout petit, sa maman est un être idéal, capable de subvenir à tous ses besoins. Lorsque se rend compte qu’elle est imparfaite, le choc est brutal. Plus la relation est mauvaise, plus l’impact est violent, et génère parfois un ressentiment profond qui confine à la haine. »
Nous avons tous connu ces moments de violente colère contre elle, parce qu’elle n’a pas satisfait un désir, parce qu’elle nous a déçus ou blessés. Nous nous sommes tous dit, en serrant les poings très fort : « Je la déteste. » C’est même un passage obligé : « Ces moments d’hostilité font partie du développement de l’enfant. Tout va bien s’ils sont ponctuels. En revanche, s’ils s’installent dans la durée, c’est plus problématique. C’est souvent le cas avec les enfants de mères narcissiques, dépressives, trop exigeantes ou abandonniques. »
Dans cette relation fusionnelle par nature, la violence des sentiments est également proportionnelle à l’intensité de la fusion. Les enfants uniques ou élevés par une femme seule ont plus de difficultés que les autres à admettre qu’ils n’aiment pas leur mère.
vivait seul avec sa mère dans une interdépendance totale : « J’étais sa raison de vivre. C’était une place privilégiée, certes, mais c’était trop lourd à porter. J’ai eu un mal fou à rencontrer quelqu’un. En l’occurrence, un garçon, c’était la seule solution. Avec une fille, la concurrence aurait été trop rude ! » Aujourd’hui, les liens sont encore très forts : « Je ne supporte pas d’être loin d’elle, j’habite juste à côté… En même temps, je sais très bien que cette relation me prive d’une vraie liberté. »
Ils sont très peu à couper réellement les ponts avec leur génitrice. Ils refusent de lui en vouloir, tentent de la comprendre, lui trouvent des excuses : une enfance difficile, un environnement pesant, un mari absent. Tous font « comme si ». Comme si tout allait bien, surtout, ne pas en parler, « pour éviter le conflit qui me mènerait à un point de non-retour », remarque Romain. Ils maintiennent le lien, quoi qu’il en coûte. « Je la vois par devoir, regrette . Je sais qu’elle m’aime, et je ne veux pas lui faire de mal. »

La « dette originelle »

La « dette originelle », et de son corollaire, la culpabilité, qui dure toute la vie et nous enchaîne à celle qui nous l’a donnée. Et puis l’espoir, enfoui, mais tenace, que les choses finiront par changer : « La part raisonnable de mon être sait qu’elle ne bougera jamais, et, en même temps, il y a toujours cette envie au fond de moi que tout s’arrange un jour. »
perdre un enfant à la naissance : « J’ai pensé que cette fois, j’allais enfin avoir droit à la parole. Mais non, pour ma mère, la disparition de ce bébé n’était pas si grave que ça, puisque je ne l’avais même pas vu ! A partir de là, j’ai fait des insomnies terribles. Pendant des années. Jusqu’au jour où mon psy m’a fait comprendre que je n’aimais pas ma mère et que j’en avais le droit. Depuis, je dors. »
Nous en avons le droit, mais nous n’osons pas en user… « On a tous en nous la nostalgie du bon parent, on ne pense jamais avoir été aimé exactement comme on le voulait. Quand l’histoire est douloureuse, c’est encore plus compliqué. On ne parvient pas à quitter sa mère quand elle nous a trop aimé, comme quand elle ne nous a pas assez aimé. »
Seule la mère « suffisamment bonne »,  (La Mère suffisamment bonne - Payot, “Petite Bibliothèque”), nous permet d’acquérir sereinement l’autonomie de l’adulte : celle qui, en satisfaisant nos désirs, nous apprend que la vie vaut la peine d’être vécue ; la même qui, en en frustrant certains, nous dit aussi qu’il faudra conquérir seul cette autonomie.

La peur d’être comme elle

Devenues mamans à leur tour,  ont gardé le lien pour leurs enfants, avec l’espoir que leur 
« mauvaise » mère devienne au moins une « bonne » grand-mère. A la naissance de son premier enfant, a visionné des vidéos tournées par son père quand elle était petite. Elle y a vu une femme qui riait, et une petite fille choyée. « Ça m’a fait du bien, se souvient-elle. En fait, elle a disjoncté quand j’étais adolescente, mais avant, elle avait l’air heureuse de m’avoir. C’est sans doute grâce à ces premières années que j’ai pu être une bonne mère. Mais quand je la vois s’énerver contre mes enfants, je suis bouleversée, parce que je reprends conscience de ce qu’elle est devenue. »
 pris sa mère comme antimodèle pour tisser le lien avec ses enfants. Et cela a fonctionné : « A la fin d’une longue conversation téléphonique, ma fille m’a dit : “Ça fait du bien de parler avec toi.” J’ai raccroché, et j’ai éclaté en sanglots. J’étais fière d’avoir corrigé le tir, d’avoir réussi à construire une belle relation avec mes enfants, et, en même temps, je réalisais ce que je n’avais jamais eu. »
L’échec originel de l’amour maternel a été en partie compensé par quelqu’un qui a communiqué à ces femmes l’envie d’avoir un enfant, leur a livré les clés pour l’élever, l’aimer et en être aimées : grâce à ces « tuteurs de la résilience », ou ces « artisans de la bien-traitance », ces enfances cabossées peuvent donner des mères réparées.

La quête de l’indifférence

Quand les relations sont trop douloureuses, la prise de distance devient cruciale. Et les enfants blessés se lancent alors dans la quête de l’indifférence. « Celle-ci protège, c’est une défense contre l’affectif. Mais elle est fragile : il suffit d’un geste de sa mère pour être touché. » Tous disent en rêver, mais avouent en être incapables. « Je me protège d’elle, je vis loin, je m’investis ailleurs. Mais je vois bien, à la façon dont je m’énerve quand je la vois, que je ne suis pas indifférente. »
elle, d’un modus vivendi qu’elle a instauré, « plus facile à supporter intérieurement qu’une rupture : je la vois un minimum, par obligation, sans aucun plaisir ». S’autoriser à ne pas aimer celle qui nous a élevé sans trop en souffrir, c’est très difficile, mais possible. « L’indifférence, c’est de la carence affective dépassée, de la haine consolée. Quand on a fait le tri entre sentiments et culpabilité, on a défait le nœud de départ, on arrive à prendre ses distances et à faire sa route, voire à dire : “Je n’aime pas ma mère.” Devenir adulte, c’est ça : se détacher de ce qui nous encombre. Mais c’est un long chemin à parcourir… »


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Coefficient de saturation en fer de la transferrine (CS) [Capacité totale de fixation du fer par la transferrine (CFT)]

Piqûres d'abeille et de guêpe: ne pas les prendre à la légère

Les bienfaits de la Lactoxira